12 décembre 2008 :
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anniversaire de l’Élysée présidentiel
Le rituel bien réglé de l’investiture
L’exercice difficile du portrait officiel
Les slogans électoraux : nouvelle tendance
L’utopie de la VIe République :
-- entre fantasmes et nostalgies

Faisons de l’Élysée
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un « musée de la République »
Le véhicule présidentiel :
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« si t’as pas la marque… »

 

L’exercice difficile du portrait officiel 

Louis-Napoléon Bonaparte (1848-1852) / Adolphe Thiers (1871-1873) / Patrice de Mac-Mahon (1873-1879) / Jules Grévy (1879-1887) / Marie-François Sadi Carnot (1887-1894)


Jean Casimir-Perier (1894-1895) / Félix Faure (1895-1899) / Émile Loubet (1899-1906) / Armand Fallières (1906-1913) / Raymond Poincaré (1913-1920)


Paul Deschanel (1920) / Alexandre Millerand (1920-1924) / Gaston Doumergue (1924-1931) / Paul Doumer (1931-1932) / Albert Lebrun (1932-1940)


Vincent Auriol (1947-1953) / René Coty (1953-1959) / Charles de Gaulle (1959-1969), par Jean-Marie Marcel / Georges Pompidou (1969-1974), par François Pagès


Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981), par Jacques-Henri Lartigue / François Mitterrand (1981-1995), par Gisèle Freund / Jacques Chirac (1995-2007), par Bettina Rheims

Le portrait du président de la République a un caractère officiel et, à ce titre, ne doit pas être confondu avec la photo, simplement traditionnelle celle-là, plus récente aussi, prise en compagnie de son gouvernement. Pour autant, il ne relève nullement d’une obligation légale mais reste le produit d’une coutume bien établie depuis la Deuxième République et à laquelle aucun président depuis Louis-Napoléon Bonaparte en 1848 n’a échappé.

D’une certaine façon, on peut même dire que son origine se perd dans la nuit des temps, puisque le portrait du souverain existe depuis qu’existe la peinture, la gravure ou la sculpture. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, par exemple, la Direction des Bâtiments du Roi se chargeait de faire établir des copies des meilleurs portraits du souverain (ainsi que des membres de la famille royale) qui étaient ensuite offertes aux cours étrangères, aux ambassadeurs, aux principales institutions du pays ou à des aristocrates. Le procédé permettait de contrôler l’image du roi à travers des portraits officiels auxquels on garantissait une qualité certaine. Cependant, plus qu’une simple représentation, le portrait était le moyen de faire passer un message politique. De nos jours, et à sa façon, le portrait présidentiel perpétue cette pratique en exposant à la vue du citoyen l’image de l’autorité suprême du pays. Aussi le trouve-t-on obligatoirement aux murs de tous les hauts lieux républicains que sont les mairies, préfectures, commissariats de police, collectivités locales ou ambassades, mais encore dans nombre d’établissements et administrations publics ou même d’entreprises privées.

Au-delà de sa fonction, déjà importante, d’ornement symbolique au sein de ces grandes institutions de la République, le portrait officiel est un exercice difficile pour le nouvel élu. Il est ou doit être à lui seul la traduction d’une politique par le moyen d’une esthétique, d’un dessein par le moyen d’un choix, d’une ambition par le moyen d’un parti. Il est ou doit être l’image d’un homme dans l’exercice de sa fonction, c’est-à-dire qu’il doit donner à voir ou à deviner non seulement le président au travail et dans l’action, mais encore l’idée qu’il se fait lui-même de sa fonction et de son action. Exercice rendu d’autant plus difficile que devant être réalisé en tout début de mandat. Le portrait officiel est donc une déclaration d’intention, qui n’est plus tout à fait promesse ou profession de foi du candidat en campagne, mais pas encore celle de l’homme confronté aux réalités du pouvoir. Il n’est plus le postulant mais déjà l’impétrant. Il est sur le seuil, ni dehors ni dedans, face à lui-même comme en cabinet de réflexion, prenant la pleine mesure des obligations qui sont les siennes en regard des espoirs qu’il a fait naître. Pour toutes ces raisons et par toutes ses exigences, poser pour son portrait officiel est un rite de passage.

La représentation de l’homme s’effaçant derrière celle de la fonction, et celle-ci étant politiquement et institutionnellement très en retrait sous les Troisième et Quatrième Républiques, les portraits s’enchaînèrent longtemps de façon quasiment uniforme et indistincte. Les présidents posaient debout, en habit, ceints du grand cordon de la Légion d’honneur et la plaque au côté, le plus souvent effleurant d’une main quelque livre disposé sur un coin de bureau.

Curieusement, la photographie du général de Gaulle (par Jean-Marie Marcel en 1959) n’apporta que peu de nouveauté exceptée l’apparition de la couleur. C’est seulement avec Valéry Giscard d’Estaing (et la photographie de Jacques-Henri Lartigue), qu’une vraie rupture s’opéra en 1974 dans toute cette galerie répétitive. Le jeune et moderne Président, toujours enclin à bousculer les symboles, fut aussi le premier à briser la tradition du portrait en pied et en habit, en choisissant d’être photographié en buste, selon un format non plus vertical mais horizontal, en costume de ville, les insignes de sa dignité de grand croix seulement visibles à sa boutonnière au moyen de la demi-barrette. Le fond était, quant à lui, tout entier rempli par le flottement du drapeau national, seul et unique emblème officiel de la Cinquième République (article de 2 de la Constitution).

À sa suite, mais avec beaucoup moins d’audace, ses successeurs se permirent à leur tour une certaine distance par rapport au portrait traditionnel et, même, semblèrent comme s’évertuer à le personnaliser et le marquer d’une originalité. Ainsi François Mitterrand, réputé amoureux des livres, décida-t-il de revenir dans la bibliothèque de l’Élysée que nombre de ses prédécesseurs avaient choisie. Mais la véritable innovation était que le Président se démarquait de tous, sans exception, en posant assis. Il est vrai que cette posture était plus cohérente avec l’exercice de la lecture qu’il mettait en scène. Surtout, il nous semble qu’il voulut nous donner à voir une autre conception du pouvoir, beaucoup plus monarchique. Ses deux mandats ne firent que le confirmer. Car si le mot d’« État » vient du latin stare « se tenir debout », le verbe « présider » vient, lui, de praesidere « être assis », « siéger », « être assis devant, en avant ». François Mitterrand renouait sciemment avec une très ancienne figuration du pouvoir suprême trônant en majesté.

En offrant au regard un président à nouveau debout et — nouveauté — en extérieur sur fond de palais élyséen, le portrait de Jacques Chirac opéra une nouvelle révolution dans l’art du portrait présidentiel. Nous parlons bien d’« art » puisque, par ce qu’on vient d’en dire, l’exercice consiste bien en une création artistique (et du reste, pour l’occasion, le Président fit appel à une artiste en la personne de Bettina Rheims).

Malheureusement, il y apparaissait à la fois guindé à l’excès et dans une désagréable posture désinvolte, la tête inclinée et les mains jointes dans le dos (comme qui a quelque chose à cacher). L’impression générale donnait plutôt à penser à un maître d’hôtel recevant le client devant son établissement, en l’occurrence l’Élysée. Pire encore, le choix d’une pose en extérieur donnait au personnage et à son sourire satisfait une connotation bourgeoise d’un parvenu fier de montrer sa réussite par le moyen de sa demeure apparaissant au fond. Une prise de vue qui distinguait clairement le Président et son palais, donnant peut-être à contempler la France dans toutes ses composantes institutionnelles et philosophiques par le moyen d’une double présentation : celle de l’État, d’un côté, incarné par l’homme et celle de la nation, de l’autre, figurée par la permanence du jardin et du palais ?

Quoi qu’il en soit, avec ce cliché « artistique », on était bien diamétralement à l’opposé de l’idée de déménager la présidence de la République de l’Élysée. Car si le Président dut effectivement sortir du palais le temps d’une photo et pas plus, ce fut pour mieux y rentrer et s’installer durablement dans sa résidence de fonction. Il est d’ailleurs étrange de relever que le seul président de la République à s’être fait représenter à l’extérieur de « son » palais y fut aussi le plus « incrusté » de toute la Cinquième République.

Dévoilé au grand public le 22 mai 2007, le portrait officiel de Nicolas Sarkozy semble malheureusement annoncer une vraie continuité dans cette approche de la fonction et de son lieu d’exercice. Pire encore : en choisissant de poser dans la bibliothèque Napoléon III du palais, le nouveau Président opère un véritable retour en arrière. On aurait pu s’attendre à ce que, à l’image d’un Valéry Giscard d’Estaing ou d’un Jacques Chirac, il cherchât, par le moyen du portrait officiel, à donner un coup de jeune à l’institution présidentielle. Las, hormis l’apparition anecdotique d’un drapeau français — dédoublant inutilement un symbole déjà incarné par la seule personne du président de la République — et d’un autre, européen, encore moins indispensable, aucun modernisme n’apparaît sur son portrait qui s’ajoute uniformément à la déjà longue litanie des prédécesseurs indistincts. L’impression d’ensemble est on ne peut plus traditionnelle et seuls les habitués de la Maison Blanche auront reconnu un petit quelque chose d’américain dans l’ajout de deux drapeaux et le jeu d’ombre dans les boiseries composant le décor.

Est-ce donc là le modernisme tant annoncé ?


Nicolas Sarkozy (2007-...), par Philippe Warrin


Portrait officiel de William Jefferson Clinton, président des États-Unis d'Amérique (1993-2001)