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12 décembre 2008 :
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anniversaire de l’Élysée présidentiel
Le rituel bien réglé de l’investiture
L’exercice difficile du portrait officiel
Les slogans électoraux : nouvelle tendance
L’utopie de la VIe République :
-- entre fantasmes et nostalgies

Faisons de l’Élysée
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un « musée de la République »
Le véhicule présidentiel :
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« si t’as pas la marque… »

 

La présidence du XXIe siècle

Le président de la République française est bien le sommet de notre pyramide du pouvoir, la « clé de voûte » de nos institutions. Certes, il doit partager un certain nombre de prérogatives avec son Premier ministre, et l’on assiste parfois à une réelle théâtralisation de cette dyarchie à la tête du pouvoir exécutif, notamment dans des périodes de cohabitation. Pour autant, le président a toujours le moyen de conserver une réelle prééminence.

Souvent à l’excès d’ailleurs, au point qu’on l’a décrit comme un « monarque républicain » qui agirait dans la longue durée, en binôme avec un chef du gouvernement chargé de l’immédiateté. À lui les grands desseins de la France, à l’autre la gestion quotidienne des préoccupations des Français. Un schéma caricatural, bien sûr, mais qui se vérifie à des degrés divers chez chacun de nos présidents depuis 1958.

Dans les textes comme dans les faits, cette dyarchie existe bien, jusqu’à être visible dans la géographie : à Paris, la rive droite de la Seine où se trouve l’Élysée est traditionnellement l’espace du concret et du pragmatisme (présidence, finances, intérieur) tandis que la rive gauche où se trouve Matignon et les assemblées parlementaires est l’espace du foisonnement intellectuel et pluraliste.

Ce bicéphalisme déséquilibré conduit par la force des choses à un certain présidentialisme et même à une personnification du pouvoir.

Présidentialisme puisque tel est le régime instauré par le général de Gaulle et qui semble convenir assez bien à la France post-Ancien Régime : un système parlementaire moderne mais dans lequel le chef de l’État, loin d’être un simple arbitre ou une sorte de reine d’Angleterre, assume la vraie direction des affaires, légitimé qu’il est par son élection au suffrage universel direct.

Même la gauche arrivée au pouvoir s’est accommodée de ce régime si particulier et François Mitterrand, loin de se contenter d’un simple ralliement à une Constitution qu’il avait si longtemps et si violemment critiquée (« Les institutions n’étaient pas faites à mon intention. Mais elles sont bien faites pour moi. »), a montré beaucoup de facilité à se glisser dans les habits de président de la Cinquième République pour en pousser la logique monarchique jusqu’à la caricature.

Il semble bien qu’une pareille personnification du pouvoir induise logiquement, dans la pratique, une personnalisation dans l’exercice concret de ce pouvoir. La contribution des médias — et surtout ceux de l’audiovisuel — dans cette tendance est loin d’être anodine, qui ont, en tant que formidable moyen de s’adresser aux masses, totalement renouvelé les méthodes de discours et d’action politiques. Entre les années cinquante et aujourd’hui, l’homme politique s’est progressivement métamorphosé de tribun en communicateur, entraînant que l’effet de zoom que produit son image médiatique participe grandement à la personnification de son rôle et donc au sentiment de personnalisation de son action. Roger-Gérard Schwartzenberg écrivait déjà, voici trente ans : « La politique, autrefois, c’étaient des idées. La politique, aujourd’hui, ce sont des personnes. Ou plutôt des personnages. [...] Désormais, chaque dirigeant s’exhibe et se met en vedette. » (L’État spectacle : essai sur et contre le star system en politique, Paris, Flammarion, 1977, p. 7.)

Incontestablement, une certaine unanimité s’est cristallisée ces dernières années pour rejeter cette personnalisation du pouvoir. Par voie de conséquence, la méfiance à l’égard de toute tendance à la personnification a également progressé puisqu’elle est vue comme susceptible d’annoncer la personnalisation si redoutée.

Du reste, les stratégies de communication politique semblent avoir pris la mesure du phénomène en adaptant le message véhiculé par les candidats à l’élection présidentielle [Voyez le supplément sur Les slogans électoraux : nouvelle tendance].

La gauche française ne s’est toujours pas remise de l’expérience mitterrandienne et bon nombre de personnalités — surtout issues de la jeune génération — hésitent de moins en moins à dénoncer la trahison d’une gauche corrompue par son ralliement aux institutions pour mieux appeler à réactualiser le sempiternel débat sur une « Sixième République » [Voyez le supplément sur L’utopie de la VIe République : entre fantasmes et nostalgies]. Après douze années d’expérience Chirac durant lesquelles la fonction présidentielle s’est trouvé exercée sur un mode bien différent des précédents, la perception par l’opinion d’un homme décrédibilisé — par la dissolution ratée, l’échec du référendum européen, etc. — a profondément contribué à décrédibiliser la fonction elle-même.

De sorte que, sans forcément envisager une complète remise à plat de notre Constitution, gauche et droite semblent se retrouver dans le débat actuel pour constater le malaise institutionnel. Une tendance consiste à se plaindre du rôle marginal de nos assemblées parlementaires dans un système politique où elles sont dominées et souvent bâillonnées par le Premier ministre, lequel subit lui-même l’ascendant du président de la République. On souhaiterait donc que le Parlement retrouve ses droits et prérogatives au détriment de ceux du président de la République. Une autre tendance réclame de voir restaurer la fonction présidentielle — qui en a bien besoin — dans ce qu’elle doit assurer d’omniprésence, d’omniscience et d’omnipotence. Deux aspirations différentes donc et, pour tout dire, quelque peu contradictoires, mais qu’on ne s’est pas étonné de trouver réunies dans chacun des programmes des trois principaux candidats à la dernière élection présidentielle de 2007.

Il est vrai qu’il s’agissait de « rassembler »… Or, les Français ont des attentes contradictoires.

Vers un nouveau leadership présidentiel

Qu’on le veuille ou non, la présidence de grand-papa a vécu. Bien sûr, une chose sont les institutions, une autre sont les personnes qui les pratiquent.

Il est trop tôt pour juger des personnes qui, depuis mai 2007, dirigent le pays. En matière d’institutions, en revanche, il n’est pas prématuré de constater combien l’adoption du quinquennat en 2000 a réellement bouleversé le système français, et ce à un point dont on n’a peut-être pas encore pris la pleine mesure. La concomitance des mandats présidentiel et législatif entraîne notamment que, plus encore qu’auparavant, les Français voient dans la personne du président de la République une sorte de « super Premier ministre », nécessairement penché sur les affaires les plus concrètes et techniques, mais aussi les plus conjoncturelles et à courte vue. On a bien pressenti l’amorce de cette tendance depuis quelques années et, surtout, durant la campagne présidentielle de 2007 où les électeurs, encouragés par la méthode « royaliste » des débats participatifs ou par certaines émissions télévisées (on pense notamment à J’ai une question à vous poser, sur TF1), se tournent désormais spontanément vers le président de la République pour en appeler à des solutions à leurs problèmes les plus concrets, matériels et quotidiens, pouvant aller du remboursement de leur prothèse dentaire au droit de visite à leur enfant dont ils n’ont pas la garde.

Mais cette logique du tout participatif censée être ascensionnelle ne « participe »-t-elle pas à tirer le candidat vers le bas plutôt qu’à élever le débat vers le haut ? Nous venons de dire que, avec l’avènement des grands médias dans les cinquante dernières années, l’homme politique s’était progressivement métamorphosé de tribun en communicateur ; il est patent que, de son côté, et avec l’explosion des nouveaux vecteurs multimédias beaucoup plus horizontaux et réactifs, le citoyen est devenu moins un électeur déléguant et distant qu’un consommateur exigeant et impatient. L’avenir, à court comme à long terme, nous dira si nous avons là affaire à un phénomène de mode conjoncturel ou s’il s’agit d’une vraie mutation de fond annonçant un nouveau regard sur la politique.

Toujours est-il qu’on est bien loin d’un général de Gaulle au-dessus des petites contingences et renâclant à débattre du prix de la baguette de pain. De nos jours, un président de la République — en l’occurrence Jacques Chirac — ne craint pas le ridicule en décrétant que les trois grands chantiers de son second mandat sont la sécurité routière, la lutte contre le cancer et l’insertion des personnes handicapées. Autant de sujets importants, certes, mais dont, quelques années seulement en arrière, on aurait confié la gestion aux Conseils généraux ou régionaux.

Il est bien juste de considérer que les enjeux et les attentes du monde d’aujourd’hui ne sont plus ceux des années soixante. Pour autant, on ne voit pas en quoi ceux d’aujourd’hui seraient moins graves et moins préoccupants. Qu’un président de la République prenne à bras le corps des dossiers de ce type donne simplement une idée du domaine d’intervention dans lequel un chef d’État d’une grande puissance européenne est réduit dans le monde actuel.

« Je suis le dernier des grands présidents… », confia, un jour de 1995, François Mitterrand au journaliste Georges-Marc Benamou. « Enfin, je veux dire le dernier dans la lignée de De Gaulle. Après moi, il n’y en aura plus d’autres en France… À cause de l’Europe… À cause de la mondialisation… À cause de l’évolution nécessaire des institutions… Dans le futur, ce régime pourra toujours s’appeler la Ve République… Mais rien ne sera plus pareil. Le président deviendra une sorte de super-Premier ministre, il sera fragile. Il sera obligé de cohabiter avec une Assemblée qui aura accumulé bien des rancoeurs et des rivalités et qui, à tout moment, pourra se rebeller. Et ce sera la cohabitation permanente, une sorte de retour à la Quatrième. » (Georges-Marc Benamou, Le Dernier Mitterrand, Paris, Plon, 1996, « Pocket » 10382, 1998, p. 146.)

La prévision s’avère d’autant plus juste que, depuis cette époque, le quinquennat est venu modifier la donne et redistribuer sensiblement les cartes de cette dyarchie existant au sommet du pouvoir exécutif entre le président de la République et le Premier ministre. Au détriment du second, bien entendu…

Le nouvel élu en 2007 devait forcément être issu d’une génération dite des « quinquas » puisque les trois principaux candidats étaient de ces quinquagénaires pour qui l’heure était enfin venue, après l’incrustation durable — et à tous les niveaux de la société — de la génération du baby boom. Ce seul changement suffit déjà et forcément à donner à la présidence de la République une allure renouvelée ; dans l’autre sens, il incite tout aussi mécaniquement les Français à porter sur leur présidence un regard neuf. À charge pour le nouvel hôte de l’Élysée d’être à la hauteur de cette attente. Un bon moyen serait justement qu’il annonce un renouvellement esthétique, visible et hautement symbolique du lieu d’exercice de sa charge, prouvant qu’il n’était pas candidat à un poste ou à un fauteuil mais bien à une fonction, à un moyen d’agir dans la proximité.

Au vu de ces éléments, il apparaît plus nécessaire encore de remettre en cause le palais de l’Élysée en tant que lieu du pouvoir présidentiel, tant la discordance entre cet hôtel du XVIIIe siècle et la fonction de son occupant d’aujourd’hui est criante. L’anachronisme en est déjà regrettable et l’inadéquation fonctionnelle dommageable au travail des services. Mais il s’agit maintenant d’une véritable incohérence qu’il faut corriger.

Dès lors, et concrètement, dans quelle architecture convient-il d’installer la présidence de la République ?

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