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12 décembre 2008 :
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Construire un bâtiment nouveau

L’idée de bâtir un nouveau siège pour la présidence de la République semblera à beaucoup la solution la plus logique ou la plus naturelle. Elle est pourtant celle qui pose le plus grand nombre de problèmes.

La « Cité des hommes »

Si l’on conçoit de bâtir un nouvel édifice destiné à accueillir la présidence de la République, on peut légitimement suggérer de voir plus grand et de profiter de l’occasion pour procéder, sur un même site et dans un vaste ensemble, à un regroupement, si ce n’est de tous les lieux de pouvoir, au moins de la présidence avec les différents ministères. Inspirée par un souci de rationalisation des espaces affectés aux différents rouages du pouvoir politique et administratif, cette idée est relativement répandue et, pour tout dire, ne date pas d’aujourd’hui… ni même d’hier.

On peut la dater au moins du Moyen Âge, époque où Charles V conçut de faire de sa résidence principale — le château de Vincennes — une vaste cité politique dans laquelle tous les pouvoirs eussent été regroupés, entourés de la Cour. La mode de l’époque était à la Cité de Dieu de saint Augustin, dont les traductions en français commençaient à se diffuser. Le roi, lettré et sage, souhaita s’en inspirer pour perfectionner la « cité des hommes », ou « terrestre », sur laquelle la providence lui commandait de régner en ce bas monde, ce bien sûr en attendant l’insigne privilège d’accéder au royaume divin. Le projet ne fut jamais complété, ni architecturalement ni politiquement.

Par la suite, l’idée d’une « cité politique », ou « administrative », ou encore « gouvernementale », est revenue à plusieurs reprises mais pour un résultat bien souvent resté inabouti ou à l’état de simple projet sur le papier. Il est vrai qu’elle est très généralement le fruit d’une logique soit d’utopiste — c’est-à-dire pensée par quelque architecte dont la tendance à voir grand se confond toujours avec l’intérêt — soit de mégalomane — à savoir un souverain ambitieux en mal de grandeur et de prestige. On ne s’étonnera donc pas d’avoir vu émerger ce « serpent de mer » politique sous Louis XIV, sous le Premier Empire comme sous le Second et dans ces années 1920 et 1930 particulièrement bâtisseuses et nationalistes.

Le Versailles de Louis XIV fut d’abord un lieu de plaisirs, ceux de L’Île enchantée (1664), avant de devenir un grand projet de regroupement géographique et fonctionnel du pouvoir et des administrations. Le château n’en était d’ailleurs qu’un élément puisque le Roi-Soleil décida la ville nouvelle et son peuplement. Réalisant à Versailles le rêve de Charles V à Vincennes, il rejoint ce « système » en 1682, lorsqu’il le pensa prêt à « fonctionner ». Après sa mort, la population politique et administrative ainsi que la Cour s’évaporèrent largement vers Paris : la cité politique idéale de Versailles avait fait son temps. Elle n’avait tenu que par l’absolutisme de son initiateur.

À la différence de Louis XIV, Napoléon Ier n’eut pas la durée pour lui. Il tenta cependant de faire élever sur la colline de Chaillot (notre Trocadéro actuel) un somptueux palais impérial qu’il souhaitait affecter à son fils, le roi de Rome, appelé à devenir un jour Napoléon II. Symbole de sa dynastie, cet ensemble monumental, que les incontournables architectes de l’époque Percier et Fontaine conçurent en terrasses donnant sur l’École militaire et le Champ-de-Mars, promettait de s’étendre aussi vastement que le château de Versailles. Pour compléter le tout de façon politiquement cohérente, l’Empereur souhaita également créer un immense quartier administratif sur la rive d’en face (quai d’Orsay et dans la plaine de Grenelle, entre le Champ-de-Mars et l’esplanade des Invalides). En tout, une véritable ville neuve et gouvernementale sur ces terres vierges de l’ouest parisien. Mais les travaux du « palais du Roi de Rome », commencés en 1811, furent interrompus prématurément et ceux de la rive gauche ne connurent qu’une première pierre.

À peine devenu à son tour empereur, Napoléon III compléta et acheva la réunion du Louvre et des Tuileries entamée par son oncle (un grand dessein remontant sans doute à Henri IV). Son idée semble bien, par la destination politique qu’il lui prévoyait, d’avoir voulu faire de ce vaste ensemble une véritable ville dans la ville, où le pouvoir, par le moyen d’une architecture monumentale, eût été à la fois en sécurité et en représentation. Dans les premiers temps, il souhaita installer dans ce nouveau Louvre inauguré en 1857 les ministères d’État, de la Maison de l’Empereur, de l’Intérieur et de la Police, ainsi que les Télégraphes, l’Imprimerie nationale, la bibliothèque du Louvre, des troupes militaires et sans doute d’autres institutions et administrations encore. Finalement, seule une partie de ce programme fut réalisée mais, de toute évidence, l’ensemble Louvre-Tuileries était appelé à devenir la cité du pouvoir, véritable tête de la France.

Dans les années de l’entre-deux-guerres du XXe siècle, de nombreux projets de cité gouvernementale virent le jour. Partant du constat — encore d’actualité aujourd’hui — de l’inadéquation et de l’insuffisance des locaux occupés par les ministères, éparpillés dans les hôtels de la noblesse d’Ancien Régime du faubourg Saint-Germain, on vit d’abord naître, vers 1925, un projet visant à grouper leurs administrations centrales dans des bâtiments construits et aménagés à cet effet « derrière » l’École militaire, place de Fontenoy et avenue de Breteuil. Plusieurs architectes firent des propositions, dont Rotival et son impressionnant « Palais du Gouvernement » fait d’un ensemble de buildings et de hautes tours (le modèle du New York de l’époque faisait l’admiration), la présidence du Conseil devant trouver place dans l’École militaire elle-même.


Projet de cité ministérielle derrière l’École militaire, par Rotival.
© Ville de Paris, Bibliothèque Forney

Les fluctuations monétaires de cette période eurent raison de ces gigantesques projets et, plus tard, l’État choisit finalement de ne bâtir là que quelques éléments, qui plus est architecturalement disparates. Ce sont les massifs bâtiments administratifs que l’on peut encore y voir de nos jours (actuels ministères du Tourisme, de la Santé, de la Sécurité sociale, etc.) datant des années trente, cinquante ou soixante-dix.

Certains virent dans ces projets de cité gouvernementale derrière l’École militaire une cible trop facile et un objectif trop tentant en cas de guerre (l’aviation devenait alors une arme de guerre) et l’on préféra en suggérer la création en dehors de Paris. L’espace n’y manquerait pas pour établir, à côté de l’ensemble architectural, un terrain et des infrastructures propres à assurer la sécurité aérienne du site. L’encombrement des artères du centre de Paris, la modernisation des moyens de transport, le développement de la ville vers l’ouest et les grands projets en voie de réalisation pour faire de la « Voie triomphale » Champs-Élysées-Étoile-Saint-Germain l’axe du futur Paris encouragèrent les architectes à proposer la création d’une gigantesque « Cité du gouvernement », à bâtir à l’entrée de la forêt de Saint-Germain (c’est-à-dire sur et au-delà de notre actuel quartier de La Défense). Les projets ambitionnaient de regrouper, selon un ordre monumental strictement organisé et symétrique, non seulement la présidence de la République et les ministères, mais encore les assemblées parlementaires, le Conseil d’État, la Cour des Comptes, etc. La guerre vint interrompre ces ambitions.

 


Projets de cité gouvernementale à l’entrée de la forêt de Saint-Germain, par Vago et Persitz.
© Ville de Paris, Bibliothèque Forney

Ailleurs, seuls quelques exemples isolés ont été effectivement réalisés dans quelques autres pays que le nôtre, mais il faut généralement les associer à un contexte politique de nouveauté, c’est-à-dire correspondant à l’instauration d’un régime politique en rupture avec le précédent et souhaitant s’inscrire dans la durée. On peut aussi penser à certaines villes dans lesquelles les ministères sont traditionnellement concentrés dans un même quartier, bien souvent reproduisant spatialement le schéma d’organisation sociale du pays (on pense au Kremlin de Moscou, à la Cité interdite de Pékin ou aux villes impériales japonaises). Pour autant, on ne peut les confondre avec des villes comme Londres ou Paris, même si on y peut observer une certaine concentration des ministères (cité de Westminster à Londres, faubourg Saint-Germain à Paris).

En réalité, il semble bien que ce genre de projet soit trop utopique pour être à nouveau envisagé aujourd’hui : l’inertie prévisible des différents ministres et de leurs directions de services ne permettra sans doute jamais à un président de la République de réaliser pareille ambition, au reste pas forcément légitime ni judicieuse.

Dans ses mentalités et ses attentes, notre époque n’est pas à la conception d’un pareil ensemble et il serait sans aucun doute plus sage et cohérent de proposer l’édification d’un unique bâtiment propre à n’héberger que notre seule présidence de la République.

La présidence bâtisseuse

Le choix d’un chef de l’État de faire bâtir un nouveau siège pour la présidence serait incontestablement surprenant à plus d’un titre. L’ambition en serait audacieuse, la décision courageuse. C’est certainement en raison de ces caractères faisant figure d’obstacles dans une démocratie moderne que le général de Gaulle et François Mitterrand en leur temps ne voulurent pas y songer. C’est aussi ce qui explique que les exemples en sont fort rares, chez nous comme à l’étranger, exemples qui attestent tous de l’impérieuse nécessité, en amont, d’une puissante volonté politique.

C’est ainsi que l’on a vu le président Mitterrand décider un beau jour que, dans le cadre des travaux qu’il engageait pour le Grand Louvre, le transfert du ministère des Finances — qui y logeait depuis 1871 — était nécessaire pour libérer les lieux de toute présence administrative jugée incongrue dans cet immense palais dont la destination muséale était appelée à devenir exclusive. Il fallut donc édifier un nouveau bâtiment destiné à accueillir dignement ledit ministère. La Ville de Paris proposa le site de Bercy et un concours fut organisé, remporté par Chemetov et Huidobro. Le déménagement définitif eut lieu sous la conduite du ministre Pierre Bérégovoy, en juin 1989.


Hall d’honneur des ministres à Bercy : quand luxe et apparat du pouvoir se font modernes…
© Minéfi

Mais, dans ce cas, la cause était « juste », puisqu’elle était culturelle. De plus, François Mitterrand se voulait résolument bâtisseur et cette opération n’était qu’une partie d’un programme politique ambitieux — et pour le moins inattendu dans le contexte économique et financier des années quatre-vingt… — pour lequel des dizaines de milliards de francs furent engloutis dans ce qu’on a appelé les « Grands Travaux » (Grand Louvre, Grande Arche de La Défense, Bibliothèque nationale de France, Opéra-Bastille, Institut du monde arabe, Géode et parc de La Villette, Cité de la musique, ministère de Bercy, etc.).

C’est à partir de cette même époque que l’on a vu fleurir, un peu partout dans nos provinces et à la faveur des lois de décentralisation, des architectures souvent très audacieuses affectées aux nouveaux et puissants organismes de pouvoir locaux. Ces hôtels de région ou de département, véritables forteresses et palais à la gloire — paraît-il — de la démocratie locale, rivalisent d’un monumentalisme souvent très « nouveau riche », selon la volonté de leurs commanditaires, ces nouveaux barons régnant notamment sur Montpellier, Marseille, Strasbourg, Toulouse et bientôt Lille.

Nous n’évoquons ces quelques exemples français que pour souligner que, outre le coût exorbitant qu’induirait le choix de faire bâtir une nouvelle présidence de la République, on s’exposerait également au risque, toujours possible, d’un « loupé » esthétique. La monumentalité du ministère des Finances de Bercy est de mauvais goût et de mauvais aloi. Son style évoque et magnifie tout à la fois les grandes heures du stalinisme bâtisseur et donne à voir une architecture de pouvoir à caractère proprement caricatural, puisque de multiples références médiévales (forteresse, douves, pont-levis et sa grande porte, piles de fondation coniques, etc.) semblent vouloir délivrer un message symbolique d’un autre temps. Le parti architectural pour la nouvelle présidence serait sans aucun doute un défi particulièrement difficile à relever pour les architectes candidats au concours — procédé de désignation probable pour pareil programme. En regard de ce qui s’est fait à l’époque mitterrandienne ou par la suite, à Paris comme dans nos régions, en matière d’architecture des lieux de pouvoir, on peut d’ores et déjà craindre toutes les excentricités. Les architectes contemporains — peut-être à l’image de la société, finalement — sont en effet bien mal à l’aise dès lors qu’on les charge de donner une définition concrète et en trois dimensions au pouvoir et à l’autorité. La monumentalité est un art qui semble comme tombé en désuétude dans la profession et bien peu savent lui trouver une tonalité nouvelle en harmonie avec les représentations d’aujourd’hui. L’Allemagne y est peut-être parvenue, qui, dans sa nouvelle capitale de Berlin depuis qu’elle est réunifiée, s’est dotée d’une nouvelle chancellerie. La France pourrait bien s’inspirer de cet exemple, tant au plan de la décision de s’installer dans une architecture moderne que dans le parti esthétique adopté (→ Quand l’Allemagne se retrouve dans sa nouvelle chancellerie).

Enfin, une difficulté subsiste dans le choix du site où serait édifié le nouveau bâtiment de la présidence de la République. Les espaces disponibles dans Paris ou aux proches alentours ne sont pas si nombreux et, surtout, on ne saurait se contenter du premier terrain constructible venu. De même que ledit bâtiment mérite de traduire, esthétiquement et « dans la pierre », une certaine vision de l’institution, c’est-à-dire du contenu dont il doit être le contenant, le site géographique sur lequel il doit s’élever demande à être lui-même l’expression d’un message, le signifiant d’une idée.

Il ne saurait être question de soutenir un choix visant, par exemple, à installer la présidence dans un quartier difficile de banlieue ou simplement populaire au motif que, là, au moins, le président serait en prise avec les réalités quotidiennes des Français. L’argument serait bassement démagogique et, quel que serait le point de chute envisagé, il ne serait représentatif que d’une certaine réalité particulière dans laquelle, pour reprendre notre exemple, les citoyens vivant dans les villes moyennes et les campagnes ne se reconnaîtraient nullement.

Rappelons à cet égard que notre idée de quitter l’Élysée ne vise pas à installer le président de la République dans une installation faite de simplicité ou de relégation au niveau du Français moyen. Pareille logique ne serait ni réaliste ni souhaitable puisqu’il s’agit pour nous, bien au contraire, de réhabiliter l’image de la fonction présidentielle, de lui redonner quelque crédit et de renouveler le regard porté sur elle par des citoyens devenus, avec le temps, légitimement méfiants et même défiants à son endroit tant elle leur paraît déconnectée et lointaine.

Tout comme l’architecture destinée à y être érigée, le site à choisir doit donc être digne d’un lieu de pouvoir. Il en est quelques-uns dans Paris qui eurent cette vocation et qui, aujourd’hui, sont « libres » et constructibles. On pense notamment au palais des Tuileries, incendié par les Communards en 1871 et dont les ruines furent rasées une douzaine d’années plus tard. Depuis cette époque, le Louvre est « ouvert » sur l’ouest parisien et tend désespérément ses deux grands bras sur la béance d’un vide vertigineux. D’aucuns croient d’ailleurs opportun de suggérer sa reconstruction prochaine — et à l’identique —, ce qui ne manque pas de soulever des arguments passionnés (cf. le projet du Comité national pour la reconstruction des Tuileries, http://www.tuileries.org). C’est que le palais dont il s’agit fut longtemps le siège du pouvoir suprême et fait figure, dans la géographie de Paris, de symbole de la monarchie d’Ancien Régime comme des deux Empires. Bien que nul défenseur de ce projet n’ait avancé l’idée d’y installer le chef de l’État actuel, pas plus d’ailleurs que d’en profiter pour restaurer en France une couronne héréditaire, le site pourrait cependant prétendre à notre sélection. Pourtant, on a du mal à croire que sa connotation par trop bourbonienne et napoléonienne autorisera jamais un président de la République à proposer pareille provocation aux Français d’aujourd’hui. Le général de Gaulle l’avait-il compris, qui repoussa la proposition de l’architecte Henri Bernard, en 1965, d’y édifier un « Palais du Gouvernement » en réponse à son souhait de quitter l’Élysée pour une résidence plus spacieuse ?

Signalons encore, pour mémoire, que l’emplacement vacant et prestigieux de l’ancien château de Saint-Cloud, en bordure ouest de Paris, a lui aussi été avancé à plusieurs reprises comme solution à l’implantation d’une nouvelle présidence de la République. Plusieurs collaborateurs du général de Gaulle à l’Élysée se firent les défenseurs de cette idée lorsqu’on projeta d’organiser à Saint-Cloud l’Exposition universelle de 1967. Pierre Lefranc et Joseph Belmont suggérèrent au Général de prévoir qu’à l’issue, on eût pu donner au pavillon de la France une nouvelle destination en l’affectant à la résidence du chef de l’État. Plus près de nous, l’historien Georges Poisson reprend à son compte la solution de Saint-Cloud et suggère même d’y édifier une vaste cité gouvernementale.

Pour autant, une objection identique à celle s’appliquant aux Tuileries vient immanquablement à l’esprit : l’ancien palais de Saint-Cloud, lui aussi incendié par la Commune, souffre d’une forte connotation Ancien Régime et Empire. Mieux (ou pire) : c’est là que Bonaparte réussit son coup d’État du 18 Brumaire…

La géographie parisienne est décidément bien riche d’histoire(s).

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