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• La Défense, un   quartier dynamique
• La Grande Arche   comme lieu de
  pouvoir

12 décembre 2008 :
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Le rituel bien réglé de l’investiture
L’exercice difficile du portrait officiel
Les slogans électoraux : nouvelle tendance
L’utopie de la VIe République :
-- entre fantasmes et nostalgies

Faisons de l’Élysée
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un « musée de la République »
Le véhicule présidentiel :
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« si t’as pas la marque… »

 

La Grande Arche comme lieu de pouvoir

Choisir la Grande Arche comme nouveau siège de la présidence de la République, c’est répondre concrètement et complètement à plusieurs exigences : réunir l’ensemble des services de la présidence dans un même bâtiment, visible de tous et aisément identifiable au milieu d’un quartier en cohérence avec sa destination de bureau, et servant de cadre moderne et adéquat à la mission de son hôte, mission faite autant de travail effectif que de représentation.

L’aspect de ce monument est comme un cadre de pensée pour l’avenir, qui n’impose aucun message prédéfini. Par la pureté de sa forme, de son matériau et de sa couleur, par son vide central aussi, l’Arche est une page blanche qu’il nous revient d’écrire, celle de l’histoire… de notre avenir.

Les espaces de la Grande Arche

Le bâtiment offre quelque 100 000 m² en tout. Toutefois, le pilier nord est occupé par des entreprises du secteur privé. Qu’à cela ne tienne : le seul pilier sud de l’Arche suffit largement à répondre aux besoins de la présidence de la République, avec plus de 40 000 m² de bureaux répartis sur 34 étages. Le Toit et le Socle procurent également des espaces intéressants et fort utiles pour les nombreuses cérémonies et réceptions inhérentes à la fonction de chef de l’État.

En regard des 11 179 m² que procure l’Élysée répartis sur 365 pièces (plus 90 pièces en sous-sol), et même en comptabilisant les surfaces offertes par les hôtels des 2, 4 et 14, rue de l’Élysée ainsi que celles du palais de l’Alma, au 11, quai Branly (15 789 m² de bureaux et logements de fonction), on voit que la présidence de la République serait au large dans la Grande Arche. D’autant que, sur le millier de fonctionnaires constituant le personnel du palais de l’Élysée, seule une partie se justifiera dans une architecture moderne où horlogers, tapissiers et autres lustriers n’auront pas forcément leur place.

À l’heure actuelle, et conformément à ce qui était prévu dès le concours d’architecture de 1982 [→ La Tête-Défense], le ministère de l’Équipement occupe ce pilier sud. C’est d’ailleurs le seul élément du programme initial à subsister. Et encore n’y trouve-t-on que quelques services du ministère puisque, comme il fallait s’y attendre, le ministre lui-même et son cabinet n’ont jamais voulu siéger ailleurs que dans le VIIe arrondissement de Paris, à l’hôtel de Roquelaure sur le boulevard Saint-Germain —c’est-à-dire, on l’aura deviné, dans un hôtel du XVIIIe siècle. Pourtant, tout était prévu dans cette paroi de l’Arche pour accueillir le ministre : un vaste bureau confié à la décoration et à l’ameublement de l’architecte et designer Isabelle Hebey, un appartement de fonction situé juste au-dessus, des ascenseurs desservant directement son bureau depuis le rez-de-chaussée et le sous-sol où l’on trouve un accès réservé aux véhicules officiels, un hall d’honneur et un parking.


Le « bureau du ministre » dans la Grande Arche : bientôt bureau du président de la République ?
Photo Georges Fessy (in Laure Murat, Palais de la nation, Paris, Flammarion, 1992)

Mais l’appartement et le bureau du ministre sont toujours inoccupés (une vacance faisant régulièrement l’objet de critiques de la Cour des comptes ou de rapports parlementaires sur le patrimoine immobilier de l’État) et les bureaux sont distribués aux 1 600 personnes des grandes directions techniques du ministère telles que le Délégué interministériel à la sécurité routière, la Direction des routes, la Direction générale de la mer et des transports, etc. Pourtant, et parce que l’administration est un insatiable Léviathan, les surfaces disponibles ont fini par manquer et les fonctionnaires s’étendent maintenant jusque sur une quarantaine d’étages de deux tours voisines de la Grande Arche (Pascal A et B), soit plus de 40 000 m² qui doublent donc les espaces occupés par le ministère dans l’Arche. Afin de rationaliser l’ensemble, le ministère envisage actuellement de déménager en vue d’un utopique regroupement de ses services et l’on parle d’une nouvelle tour à bâtir dans ce même quartier de La Défense… jusqu’à la prochaine implosion prévisible des effectifs.

Non loin du bureau qui serait celui du président de la République, se trouve une salle de réunion beaucoup plus spacieuse que les autres du bâtiment et dont la longue table n’attend que de recevoir les ministres réunis hebdomadairement en Conseil. Pourtant, il paraît judicieux de proposer que le Conseil des ministres se tienne dans le Toit de l’Arche, en son centre précisément, autour d’une grande table ronde à la façon dont François Mitterrand avait organisé ici les réunions de travail du G7 en juillet 1989. L’image en serait forte car le Conseil des ministres, cette instance connue de tous les Français pour qui son rituel bien réglé met en scène la capacité décisionnelle et collective du pouvoir exécutif du pays, siègerait alors dans cette partie sans doute la plus symbolique du bâtiment, celle que l’on peut voir ou apercevoir d’un peu partout à Paris et en région parisienne et qui fait l’originalité de sa forme et de son architecture.

Le Toit de la Grande Arche offre une surface de 1 600 m² pouvant être découpée en quatre salons modulables de 400 m² chacun. Sachant que la salle des Fêtes de l’Élysée permet à un millier de personnes d’assister, par exemple, à une conférence de presse du président, on peut parfaitement envisager d’en organiser de nouvelles dans ce Toit. S’y ajoutent quatre amphithéâtres de 200, 50, 90 et 75 places, les quatre patios à ciel ouvert, un héliport en son centre et un belvédère pour jouir de la vue sur le quartier de La Défense, le grand axe et Paris. Les touristes connaissent bien cet espace d’exposition qu’est le Toit et son belvédère, l’accès direct en étant ouvert au public par le moyen des ascenseurs panoramiques visibles sous la voûte de l’Arche. Un autre accès y est aménagé à partir du dernier étage du pilier sud où se trouveraient les bureaux de la présidence.

Plan du Toit de la Grande Arche

Dans ses espaces intérieurs, la Grande Arche n’a rien d’un bâtiment luxueux. On est loin des marbres et lambris ultramodernes et ultrasophistiqués du ministère de Bercy. Les bureaux, dans l’ensemble assez peu spacieux, sont desservis par de longs couloirs dont la monotonie est plus ou moins heureusement brisée par des murs recouverts d’une immense fresque du peintre plasticien abstrait Jean Dewasne et dont le dessin se poursuit d’un étage à l’autre. Les fenêtres, qui, comme souvent dans une architecture tertiaire, ne peuvent être ouvertes, offrent une vue sur la banlieue ouest, ses « tours nuages » d’habitation populaire et son mont Valérien, mémorial de la Résistance.


Plan des bureaux d’un étage type dans le pilier sud de l’Arche

Les volumes du Toit sont quant à eux beaucoup plus spacieux mais d’une ambiance globalement plus austère, presque monacale dans sa simplicité cistercienne (due à l’éclairage, aux parquets de bois exotique ou aux poutres de béton apparentes). Toutes choses qui devraient s’avérer propices au travail tant du président de la République que de ses équipes lorsqu’ils y seront installés. On pourra toujours se plaindre de ce caractère de « résidence pénitentielle » ; ce sera toujours préférable à celui de « résidence pénitentiaire » dont tant de présidents ont souffert à l’Élysée.

Enfin, on se souciera peut-être de savoir quel confort est prévu pour l’habitation privée du président de la République. L’appartement de fonction dit « du ministre » — puisque celui en charge de l’Équipement aurait dû s’y installer — peut parfaitement faire l’affaire pour un chef de l’État. À condition toutefois de ne pas le considérer comme un lieu de résidence permanente car, pour tout dire, l’endroit est relativement réduit (environ 100 m²) et peu agréable (souffle permanent de la climatisation ou du chauffage, pas d’ouverture possible des fenêtres, vue sur le mont Valérien un peu sinistre). L’occasion serait alors belle de profiter de l’installation du président de la République dans ce bâtiment pour l’inviter à résider… ailleurs, c’est-à-dire chez lui.

On touche là un point sensible de la réception du pouvoir par les citoyens, les avantages que celui-ci procure et les abus que l’on dénonce trop souvent à grands scandales. Dans le soin que l’on serait bien inspiré de porter à la « crise de la représentation », c’est-à-dire au (res)sentiment que nombre de Français éprouvent à l’égard de leurs représentants politiques dans lesquels ils ont de plus en plus de mal à se retrouver tant ils les jugent « déconnectés » des réalités, peut-être faudrait-il procéder à une mise à plat de l’épineuse question des logements de fonction. Montrant l’exemple, le président de la République s’installerait dans la Grande Arche pour y travailler, non pour y vivre. Quitte à ce que, bien entendu, la République prenne en charge son logement privé ou les frais y afférents. L’appartement mis à sa disposition au-dessus de son bureau lui permettrait simplement de jouir d’un espace de repos, une sorte de refuge en retrait de la fonction, comme en avaient l’usage à l’Élysée les présidents Pompidou, Giscard d’Estaing et Mitterrand [→Le logement de fonction du président]. Le président pourrait ainsi y passer une nuit de temps à autre lorsque la conjoncture (circonstances de crise internationale) ou l’agenda (départ aux aurores en voyage officiel) l’imposeraient.

La dissociation géographique du domicile d’avec le lieu d’exercice de la présidence n’a jamais été aussi souhaitable. On conviendra que, dans une République contemporaine où, certes, la représentation doit encore tenir une place importante, l’argument selon lequel le président doit tenir son rang et lustrer le prestige de sa fonction à la façon d’un souverain en son palais n’est plus d’actualité. Il y aurait sans conteste beaucoup plus de modernisme à apparaître comme un responsable au travail, entretenant une juste et nécessaire séparation entre son activité de gouvernant et sa vie privée. Une vie privée à laquelle, du reste, les médias les plus nauséabonds songeraient peut-être un peu moins à s’intéresser si elle se tenait ailleurs que dans un palais républicain, symbole du bien public et du droit de regard que, à tout moment, la nation peut légitimement revendiquer. Le siège de la présidence ne doit pas forcément avoir vocation à offrir un toit au président. Il est un lieu de travail, pour un homme et son équipe de collaborateurs. Il doit être un repère pour tous les Français, non un repaire pour un seul homme, et encore moins pour ses éventuelles maîtresses et fréquentations douteuses, comme le passé nous en a offert quantités d’exemples regrettables.

Quelles contraintes matérielles ?

Bien entendu, la Grande Arche n’est pas une solution miracle et elle présente quelques inconvénients pratiques qui, cependant, ne devraient pas s’avérer insurmontables.

Une donnée géographique, tout d’abord : la présidence se trouverait-elle trop excentrée, trop éloignée de Paris et de son incontournable VIIe arrondissement, ruche du pouvoir ? L’argument fut d’ailleurs parmi ceux opposés au projet du général de Gaulle à l’époque où il envisageait de s’installer à Vincennes. Il est vrai que les ministres devraient faire le déplacement à La Défense au moins une fois par semaine pour siéger au Conseil du mercredi matin. Pour autant, ils bénéficient dans les embouteillages parisiens de certains passe-droits qui devraient leur permettre d’arriver à l’heure sans grande perte de temps, d’autant que, disposant de véhicules de fonction très bien équipés en technologies de communications et conduits par un chauffeur, ils ont l’habitude de mettre leurs trajets à profit pour travailler.

On a déjà connu ce procès en éloignement géographique à l’époque du transfert du ministère des Finances à Bercy. Il faut d’ailleurs noter au passage que l’argument était beaucoup plus souvent présenté comme rédhibitoire par les syndicats des fonctionnaires que par les ministres eux-mêmes. Du reste, lorsque l’un d’entre eux (Hervé Gaymard) a souhaité, par convenance personnelle, ne pas utiliser l’appartement de fonction mis à sa disposition dans le bâtiment, il n’a pas hésité à s’installer près des Champs-Élysées, preuve s’il en était besoin que pareil trajet quotidien n’est pas de nature à handicaper un grand ministre.

Ajoutons que, contrairement aux ministres et notamment au premier d’entre eux, qui ont quelque intérêt à ne pas trop s’éloigner de l’Assemblée nationale et du Sénat où leur présence est importante, le président de la République n’a quant à lui aucune raison de s’astreindre à siéger dans le cœur du Paris du pouvoir. L’éloignement soudain de la présidence ne devrait donc pas s’avérer une contrainte insurmontable en termes pratiques et, en tout état de cause, pas suffisante pour faire renoncer tel ou tel à accepter un portefeuille ou même une audience avec le chef de l’État.

La sécurité du président et du siège où s’exerce sa fonction est un point qu’il ne faut certes pas négliger. La Grande Arche serait-elle trop exposée et poserait-elle à cet égard des problèmes insolubles ? D’autres prétendront au contraire, mais pour la critiquer, que, par sa conception architecturale (300 000 tonnes de béton précontraint en un seul bloc solidaire) et son esthétique, elle fait plutôt figure de forteresse. Vis-à-vis d’une pareille question technique et généralement affaire de professionnels hautement qualifiés, il semble que la sagesse commande de ne pas polémiquer prématurément ni de proposer des plans trop sophistiqués. Bornons-nous, pour l’heure, à considérer qu’aucun scénario n’est, par principe, inenvisageable pas plus qu’aucune sécurisation à 100 % n’est possible. La sécurisation du site de l’Élysée est d’une complexité considérable ; il n’y a aucune raison de penser qu’elle ne pourra pas être réalisée ailleurs, sans doute avec des moyens différents et des méthodes adaptées.

Les plus au fait des questions de défense nationale savent que le président de la République, pour rester apte à exercer en toute circonstance ses prérogatives de chef des armées, dispose d’un poste de commandement antiatomique dans les sous-sols du palais de l’Élysée. C’est le fameux « P.C. Jupiter », lequel est en contact sécurisé avec celui de Taverny pour permettre l’utilisation éventuelle de la force de frappe nucléaire française. Bien entendu, ce système est doublé d’un autre, mobile et tout aussi sécurisé, autorisant les nombreux déplacements du président sans que le lien ne soit jamais rompu avec Taverny.

Secret défense oblige, il est bien difficile de savoir quels sont exactement les besoins en espaces, moyens de communication et procédés architecturaux de protection pour la conception d’un tel P.C., en conséquence de quoi il serait aventureux de proposer ici une solution toute faite. S’il s’avérait qu’un tel lieu de décision et de protection soit encore indispensable à notre époque — ce qui n’est pas certain puisque les moyens technologiques actuels permettraient sans doute de n’utiliser que le système mobile —, rien n’interdirait d’imaginer qu’il puisse trouver place, après quelques travaux de confinement antinucléaire, dans les nombreuses galeries en sous-sol de la Grande Arche ou dans le sol calcaire de la colline sur laquelle le bâtiment se dresse.

Une architecture symbolique appropriée

François Mitterrand s’est incontestablement inscrit dans la longue tradition des souverains bâtisseurs. Le Louvre fut sa priorité, qu’il considérait comme le cœur de l’histoire nationale, puis vint la Tête-Défense, à l’autre extrémité de l’axe historique, comme un nouveau jalon. Ainsi se poursuivait le « grand dessein » que la France s’était donné plusieurs siècles auparavant, un président de la République venant à son tour y apporter sa pierre. Une pierre blanche. Une pierre cubique.

Sa géométrie est simple, du moins au premier abord : un cube ouvert permettant à l’axe de filer au-delà vers l’ouest, formant un arc de triomphe moderne. Et comme tout arc de triomphe, celui-ci est conçu selon une symétrie le faisant regarder en même temps l’orient et l’occident, tel un Janus veillant sur l’avenir à l’éclairage du passé. Mais si l’arc de Triomphe de l’Étoile, napoléonien et victorieux, se dresse au sommet des Champs-Élysées comme un prestigieux couronnement, la Grande Arche confirme cette dignité à l’échelle du grand axe historique dans son entier, tout en donnant à contempler la dimension d’une autre époque, la nôtre, inspirée par d’autres valeurs et bercée d’autres formes de conquêtes.

Par son esthétique, le monument exprime avec justesse la majesté d’un lieu de pouvoir sans pédanterie ni ostentation. À cet égard, il n’est sans doute pas anodin de relever que la nouvelle chancellerie de Berlin [Voyez la page Quand l’Allemagne se retrouve dans sa nouvelle chancellerie] affecte une géométrie, des matériaux et des proportions sensiblement proches de notre Grande Arche. C’est que, en matière de monumentalité d’un lieu de pouvoir aujourd’hui, le parti architectural adopté par Axel Schultes à Berlin ou par Spreckelsen à La Défense semble s’imposer. Or la Grande Arche a bien été conçue comme devant être un lieu de pouvoir puisque, à l’origine, ses piliers nord et sud devaient accueillir deux ministères [→ La Tête-Défense].

Les valeurs spécifiquement républicaines y sont également lisibles. Inspiré, l’historien et critique William Curtis a d’ailleurs écrit à son sujet : « C’est un "temple de la Raison" pour un ordre social basé sur la laïcité et une mythologie progressiste de l’histoire. Il transforme aussi ces différentes "sources d’inspiration modernes" […] en une véritable nouvelle expression d’un certain pouvoir classique. L’Arche enrichit ainsi de façon vitale les conditions de la monumentalité moderne. Ses formes induisent un sens strict de l’ordre, une hiérarchisation claire des intentions et une vision transcendante. […] De tous les grands projets [de François Mitterrand], l’Arche est le seul à concilier un sens symbolique, une puissance formelle et une élégance technique. Ce monument tente de donner à la France des années 90 ce que Le Corbusier a donné à l’Inde des années 50, et Louis Kahn au Pakistan oriental (aujourd’hui Bangladesh) des années 60 : une architecture civique moderne, marquée par un certain caractère intemporel. Peut-être le temps donnera-t-il raison en ce sens à Spreckelsen. En attendant, les autres machines à lignes pures peuvent être utiles à la société et représenter les ambitions de l’État, mais elles ne portent pas l’art architectural dans ses plus hautes sphères. » (« Les grands projets parisiens : monumentalité et machines d’État », Techniques et architecture, n° 385, août-septembre 1989, pp. 122 et 126.)

Carrée, stable et sereine en même temps que sobre, pure dans la forme et la couleur, ouverte à l’imagination et penchée vers nous grâce à son obliquité qui suggère une adaptabilité et une mobilité, la Grande Arche est bien faite pour l’affectation nouvelle que nous lui destinons.

Par sa géométrie, elle est à la fois une fenêtre sur le monde et une porte pour la ville. Vue de Paris, son évidement central — joliment qualifié de « trou du cube » par Le Canard Enchaîné… — lui donne l’aspect d’une « porte sur le vide » comme on le disait (notamment Maurice Barrès dans Les Déracinés) de l’arc de Triomphe de l’Étoile à l’époque où il marquait la limite occidentale de la ville. Mais une ville s’étend et l’avenir se construit. Ainsi positionnée à cet endroit précis et de biais sur le grand axe historique, l’Arche symbolise l’an 2000 et l’ouverture vers l’« après ». Elle matérialise dans l’espace ce moment décisif dans le temps que fut l’entrée dans le troisième millénaire, avec toutes ses angoisses et ses incertitudes, mais aussi avec tous ses espoirs, ses utopies et ses aspirations. Sur ce parcours historique de l’axe est-ouest parisien, à la suite de l’arc du Carrousel puis de l’arc de Triomphe, la Grande Arche, parce que sa porte est étroite, recadre à son tour la marche de l’homme dans le temps. Sous sa voûte, son vide rime avec guide, tandis que son biais veut résolument marquer la rupture et figer dans l’espace le souvenir de l’événement qu’aura été l’entrée dans le troisième millénaire.

Le « nuage » et les ascenseurs panoramiques.
© Phil Bara

La Grande Arche questionne constamment sur les rapports entre esthétique et philosophie. Sur ce plan, et parce qu’elle propose un « cadre », il faut s’interroger sur ce que la présence du président de la République dans ses murs peut signifier ou symboliser. Ce monument est effectivement un cadre pour le regard, pour ce regard que nous portons, depuis Paris, vers l’horizon occidental et donc l’avenir. On prend bien la mesure de ce que transférer la présidence de l’Élysée à La Défense consiste justement à s’affranchir du schéma de pensée habituel, à « sortir du cadre », à regarder les choses autrement, sans tabous pour l’avenir ni entrave vis-à-vis du passé. L’effort serait vain s’il devait conduire à changer ce cadre pour un autre aussi restrictif. Mais la Grande Arche est un cadre ouvert, un projet, une chance. Son architecte la définissait comme « une fenêtre sur le monde », ce qui est déjà une image poétique riche de sens. Y installer la présidence de la République serait en élargir encore la définition, en multiplier les possibilités. De simple fenêtre sur le monde, contemplative d’un état qui est, on en ferait une porte ouverte sur ce qui sera, sur l’avenir de ce monde, c’est-à-dire un vecteur d’action, une dynamique agissante. D’un cadre strictement engoncé dans un quartier bourgeois et tourné vers le passé, la République s’en verrait offrir un autre plein de promesses et d’espoirs. La Grande Arche, c’est un tableau de Magritte (on pense à sa série de la Condition humaine dans les années trente), un cadre découpé sur un ciel ou un paysage contemplé devenu à la fois idéalisé et maîtrisé par l’artiste. Installé dans ce grand cadre qu’est la Grande Arche, le chef de l’État aurait plus que jamais le devoir d’assurer la marche de la nation sur le chemin du XXIe siècle.

Comme un morceau de ciel découpé par Magritte…

« Suivant moi, il est nécessaire que l’État ait une tête, c’est-à-dire un chef, en qui la nation puisse voir, au-dessus des fluctuations, l’homme en charge de l’essentiel et le garant de ses destinées. » Cette définition, par le général de Gaulle (Mémoires de guerre - III. Le Salut : 1944-1946, Paris, Plon, 1959, p. 240.), de la fonction présidentielle conserve aujourd’hui encore une actualité. Quel bâtiment élevé sur quel site saura, mieux que la Grande Arche de La Défense, y donner un écho visuel ? Comment celle qui est déjà une « tête » pour son quartier comme pour Paris ne deviendrait-elle pas une « tête » pour la France ?