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12 décembre 2008 :
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La Défense, un quartier dynamique

Chaque Français connaît, au moins pour en avoir entendu parler un jour, le quartier de La Défense [→Naissance d’un "XXIe arrondissement" ]. Mais le regard qu’il porte sur lui relève bien souvent du cliché ou de la représentation. Vivre ou travailler à La Défense, c’est être au cœur d’une modernité et d’un dynamisme qui peuvent déranger mais qui ont le mérite d’être autrement plus représentatifs de la France contemporaine que ne l’est cette vitrine du commerce patrimonial de luxe du faubourg Saint-Honoré.

La Grande Arche dans son quartier.
© Philippe Guignard, www.ladefense.fr

Un quartier d’affaires ? Pas seulement

Dans les représentations de certaines personnes — qu’elles y travaillent ou non —, le quartier de La Défense fait parfois figure d’univers minéral déshumanisé et aseptisé où l’œil de Big Brother serait omniprésent. Dans cette nouvelle Babylone faite de hautes tours de verre et d’acier et d’espaces et volumes souterrains tout aussi propres aux fantasmes, le romancier Patrick Grainville a trouvé une source d’inspiration pour l’un de ses romans : « Ce cosmos moderne et mathématique me semblait imprenable. Il me faisait peur. Invinciblement pourtant m’attiraient ces icebergs et ces miroirs où peu à peu je voyais affleurer les personnages, les mythes et les superstitions du troisième millénaire. Explorant ce quartier, je découvris des tunnels, des coursives, des chantiers, des caves, des parkings, ramifications dignes des Mystères de Paris. Peut-être ai-je rencontré Esméralda et Quasimodo dans ces Notre-Dame faussement transparentes. » (Les Forteresses noires, Paris, Seuil, 1982, 285 p.)

C’est que, là-bas, sur l’autre rive du pont de Neuilly et ceinturée par son boulevard circulaire, La Défense est une sorte d’île, « émergeant de l’océan suburbain et rattachée au continent urbain par le frêle isthme de l’axe historique » (Claude Fischler, La Défense, perceptions et pratiques de l’espace, rapport de recherche, Publicis Conseil, Paris, juin 1977, 112 p.). Or la psychologie traditionnelle et collective des habitants d’une île, c’est qu’ils ne connaissent qu’une alternative entre se sentir habitants d’un paradis ou d’un enfer. L’insulaire est un être apocalyptique.


Le quartier de La Défense comme île d’utopie, avec à sa « tête » la Grande Arche

On peut, bien entendu, ne pas apprécier cette ambiance de cité d’affaires qui règne là tout au long de la semaine, lorsque le quartier se remplit le matin et se vide le soir de flots impressionnants de travailleurs, tel les flux et reflux d’une marée humaine et quotidienne. On le comprend d’autant plus que, pour tout un chacun, le lieu de travail, quel qu’il soit, est plus souvent subi et connoté négativement que perçu comme un lieu agréable sur lequel on porte un regard objectif.

Pourtant, nombre de salariés travaillant à La Défense en apprécient les avantages par comparaison avec un quartier d’affaires inscrits en centre-ville. La pause déjeuner à La Défense est d’autant plus appréciée lorsqu’elle permet de déambuler ou de s’asseoir à une terrasse au soleil sans avoir à traverser sur les clous pour passer d’un trottoir étroit et bondé à un autre et sans le stress permanent de la rue et ses nuisances automobiles. Par un temps moins clément, ils apprécient également les immenses espaces de commerces et de services (CNIT, Quatre-Temps, etc.) où le shopping est rendu facile et le choix de la restauration varié.

Tous les points de vue sont donc possibles ici. Du reste, il faut souligner que ce quartier, réputé pour être d’abord et avant tout d’affaires, est aussi et de plus en plus un quartier à part entière, où quantités de résidents trouvent avantage et loisir à habiter et à vivre.

Certes, La Défense n’est pas une cité idéale comme l’est la Cité du Soleil de Campanella ou bien d’autres utopies littéraires imaginées depuis la Renaissance et que quantités d’auteurs ont voulu situer sur une île. La Défense n’est pas une cité parfaite et encore moins une cité complète. Elle n’est qu’un quartier d’une ville, un quartier de Paris, en dehors des limites du Paris actuel mais un quartier du Grand Paris de demain. Au reste, si une ville-capitale nouvelle comme Brasília, créée ex nihilo, se veut une cité idéale, où le pouvoir politique se donne en représentation, en théâtralité, il ne peut en aller de même dans une ville comme Paris dont la formation s’est faite dans la longue durée historique, par une juxtaposition et une mosaïque de secteurs et de lieux différents dans leur ancienneté comme dans leur style.

Une « île » donc, se dessinant sur l’horizon au-delà des champs élyséens… Voilà une image de nature à redonner corps à de très anciennes mythologies. L’île des bienheureux d’Homère était située loin à l’occident, au-delà du détroit de Gibraltar. Un thème que les Grecs eux-mêmes ont sans doute emprunté à une analogue conception babylonienne d’un pays d’outre-tombe insulaire accessible aux valeureux héros ; et les Celtes aussi croyaient à une telle contrée (pensons notamment à ses survivances médiévales et notamment à l’île d’Avallon). De sorte que, chronologiquement postérieure au tracé de nos champs élyséens et spatialement édifiée dans leur prolongement, La Défense se pose en continuation logique de notre mythologie parisienne lorsqu’elle se fait urbanisme. Un argument certes poétique mais qui donne à voir notre projet à travers un prisme symbolique nouveau. Notre actuel palais présidentiel, bâtiment phare d’un quartier élyséen du XVIIIe siècle, trouve son pendant contemporain dans la Grande Arche, au cœur de ce nouvel Élysée qu’est La Défense. Voilà qui abonde en faveur d’un transfert de notre présidence selon un souci de cohérente modernité.

Reflet d’un dynamisme tourné vers l’avenir

Installée à La Défense, la présidence de la République serait au cœur de la vie et de l’activité de son époque. Dans un quartier d’affaires à vocation économique, certes, et cela doit rester vrai : le président n’aurait pas vocation à chasser les marchands du Temple. Il prendrait pieds dans un espace essentiellement — mais non exclusivement — dédié à la dynamique économique, au secteur marchand, aux forces vives, à ces entreprises qui y ont leurs sièges et donc leurs principales directions mais qui procurent aussi quelque 150 000 emplois sur ce seul site.

Bien sûr, il serait très réducteur de dire que le quartier est représentatif de l’économie française dans son ensemble et sa diversité : il ne regroupe qu’une partie du secteur tertiaire, national et international. Et comme il est aussi un quartier d’habitations, de commerces, de loisirs, de services et d’activité culturelle, le président de la République n’apparaîtrait pas comme un chef de l’économie française, ni et encore moins un chef d’une nation économique, mais il se situerait au cœur de la société tout simplement, ou d’une société, celle de l’activité et de la dynamique, parmi les forces productrices de richesse et d’emplois, qui procurent une valeur ajoutée à la France.

Le XXIe siècle qui commence s’annonce d’ores et déjà, qu’on le veuille ou non, comme celui du tout économique et de l’hyperconcurrentiel. Souhaitons qu’il ne sera pas que cela, mais souhaitons surtout que, sur ce terrain-là au moins, la France ait sa place dans le monde de demain, à l’image de l’« entreprise France » qui aurait sa place dans le quartier de La Défense où elle aurait son siège, affichant un dynamisme volontaire et prêtant son concours à une activité économique nationale soutenue et encouragée. Le pouvoir politique ne doit pas avoir peur des ressorts de la puissance économique et ne peut en être à l’écart. Bien au contraire, il se doit d’être présent, d’assumer toutes ses prérogatives en la matière, d’arbitrer quand il le peut et d’impulser quand il le faut.

La société d’aujourd’hui n’est plus pyramidale mais horizontale, un peu à l’image de ce symptomatique « filet » — l’Internet — plaqué sur la surface du globe comme un immense maillage de communication. Les hiérarchies y sont beaucoup moins marquées et donc plus tout à fait discernables et le paroxysme de cette logique est peut-être atteint avec les notions récentes de « gouvernance » et de « démocratie participative » privilégiant un leadership non plus situé au sommet d’une pyramide mais au centre de réseaux. Aussi ne serait-il pas illogique, bien au contraire, de voir la présidence s’installer au milieu de la vie grouillante et dynamique, non pas « noyée » car la fonction reste ce qu’elle est et l’architecture de la Grande Arche l’exprime à sa façon, mais « immergée » (son nom d’« Arche » n’évoque-t-il pas celui d’un navire sur les flots bravant la tempête ?).

L’objet du transfert de la présidence à La Défense n’est pas de tenter de fondre l’institution présidentielle dans la masse du secteur tertiaire et du monde des affaires, ou même de la confondre avec d’autres formes d’autorité, de direction ou de gouvernance d’entreprises. Ce serait alors une faute qui relèverait sans aucun doute d’une bien maladroite « stratégie de condescendance » dont parlait Pierre Bourdieu, ou même de la « pédanterie comique » dont parlait Arthur Schopenhauer. Mais il s’agit de poser cette institution présidentielle à la fois au cœur et à la tête de l’espace dynamique qu’illustre La Défense.

Autant par son parti esthétique que par son emplacement sur l’axe historique parisien, la Grande Arche est une architecture à part dans ce quartier de La Défense, tout en s’y imposant comme l’indispensable signal, le repère, la tête. Au fond, elle est un peu à La Défense ce que la présidence est ou doit être à la société française.

Délaissant un quartier du faubourg Saint-Honoré par trop connoté, le chef de l’État et ses équipes travailleraient ici en toute sérénité sans être sujets aux pressions et contingences de « la rue » — avec tout ce que l’expression sous-entend. On pourra, si on le souhaite, comparer le quartier de La Défense à celui du faubourg Saint-Honoré : l’adéquation avec notre monde contemporain est réelle et palpable dans le premier, tandis que le second fait aujourd’hui figure de monde parallèle ou extraterrestre. Dans cette artère prestigieuse dédiée depuis toujours aux habitations nobles et aux commerces de luxe, on est simplement sur une autre planète et la présidence de la République ne peut s’y sentir au diapason de la société française d’aujourd’hui. Dans cette vitrine censée être celle du savoir-faire français, on ne trouve que des enseignes de haute couture, d’antiquités et de galeries d’art. S’il est incontestable que ces activités sont une fierté de notre pays et de son patrimoine, est-ce là l’image que l’on doit encore mettre en avant pour symboliser la France du XXIe siècle ? Il semble bien que, en termes d’image de dynamisme et de vitalité, et quitte à siéger au cœur d’un quartier d’activité économique, la présidence de la République du XXIe siècle serait plus à sa place à proximité d’entreprises comme Areva, Total, Axa, EDF ou Société Générale qu’auprès de Hermès, Lanvin ou Boucheron.

Depuis le Second Empire et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, à une époque où ce quartier, avec son faubourg et ses Champs-Élysées tout proches, étaient celui où les gens de qualité devaient se montrer tout en flânant devant les enseignes les plus prestigieuses du temps, la présidence de la République pouvait encore avoir sa place au cœur de cet univers de grande bourgeoisie que, d’une certaine façon, le chef de l’État incarnait dans la société de la Troisième République. Vouloir installer la présidence d’aujourd’hui — et de demain — à La Défense, dans un quartier du dynamisme économique et de la production de richesse et d’emplois revient en quelque sorte à transposer cette image, à l’actualiser.

Les grandes entreprises privées l’ont bien compris, qui ont depuis longtemps quitté le fameux « triangle d’or » du VIIIe arrondissement où elles avaient souvent leur siège dans des immeubles du plus pur monumentalisme haussmannien outrancier. S’en détachant progressivement pour des raisons à la fois pratiques et symboliques, elles se sont fait bâtir de nouveaux sièges à l’esthétique contemporaine et prestigieuse — et que l’on pourra d’ailleurs juger tout aussi outrancière… — dans des banlieues nouvelles comme Saint-Quentin-en-Yvelines, Marne-la-Vallée, La Défense, etc. C’était prendre la vraie dimension du progrès en matière de communications et de transports ; c’était aussi inscrire l’entreprise dans les réalités de son époque.

Finalement, c’est sur les mêmes arguments que l’État devrait se remettre en cause aujourd’hui, à commencer par son pouvoir exécutif. Installer la présidence dans une architecture moderne, image d’un savoir-faire contemporain et de l’innovation visionnaire, ce serait ouvrir les esprits à ce qui se fait de mieux à notre époque. François Mitterrand l’avait bien compris, qui décida une politique de Grands Travaux dont on sait combien elle a participé, d’une part, à redonner confiance aux forces créatrices dans notre pays et, d’autre part, au prestige des compétences françaises, tant artisanales que technologiques, et à leur exportation partout dans le monde. Si une telle politique n’est pas forcément souhaitable ni permise aujourd’hui, l’installation de la présidence dans une architecture, un décor et un mobilier plus contemporains — à créer ou déjà existants — serait une excellente impulsion à une dynamique qui en nécessite constamment.

Le quartier de La Défense est en perpétuel mouvement, en continuelle évolution, toujours tendu vers le modernisme et l’anticipation de l’avenir. Par certains côtés, il donne à la France son Manhattan. Il est donc toujours à la pointe de ce qui se fait de mieux sur les plans à la fois esthétiques et techniques, c’est-à-dire qu’il est ancré dans le présent et se projette en permanence dans l’avenir. Pour se poser en chef et représentant de la nation française contemporaine, mieux vaut être au cœur d’un quartier — une France — qui évolue, se renouvelle, se remet chaque jour en question et se (re)construit que dans un quartier — une France — qui s’assoupit dans sa quiétude bourgeoise, se perpétue dans l’autosatisfaction d’« avoir été » et vieillit sans même s’en apercevoir.

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